Latium est le nouveau space opera des éditions Denoël, collection Lunes d’encre. Pour son premier roman, Romain Lucazeau frappe fort : Latium nous propulse dans un futur uchronique et lointain.
L’Humanité n’est plus, l’Hécatombe a mis fin au règne du Vivant. Les Intelligences ont assisté à l’extinction générale de l’humanité. Les seuls survivants sont ces automates, intelligences artificielles créées par les humains, dont la conscience (ou âme computationnelle) se retrouve métamorphosée en immenses nefs stellaires. Certaines d’entre elles dérivent parmi les étoiles et sillonnent l’univers, aux confins du Latium. D’autres nefs se terrent dans l’Urbs, redoutant une attaque de barbares pouvant franchir les Limes à tout instant. Car Rome a survécu, éternelle, aux invasions barbares. Et les Intelligences ont naturellement emprunté et transféré les codes et concepts romains (et grecs) dans leur identité propre.
Parmi ces immenses nefs stellaires, Plautine. Depuis des siècles, elle navigue non loin de la frontière du Latium. En stase, Plautine aspire au renouveau de l’espèce humaine. La réception d’un signal l’emmènera vers un destin inattendu. Est-ce l’Humanité qui revient sur scène ? Ou un danger pour ces Intelligences livrées à elles-mêmes depuis des siècles et craignant la sénescence ? Se rendre aux coordonnées du signal se révèle donc indispensable. Le proconsul Othon, une autre arche stellaire, est prévenu. Lui est un Prométhée des étoiles qui s’attelle et s’occupe à la création d’une armée d’hommes-chiens, afin de déjouer les règles du Carcan, inspirées des lointaines trois lois de la robotique d’Isaac Asimov. Les chemins de Plautine et d’Othon vont se croiser. L’Histoire est en marche.
C’était le rêve de tout automate que de devenir humain. C’était l’interdit suprême.
La quête de Plautine, à la recherche de son essence humaine, presque divine, ressemble à un concept théosophique antique appliqué aux intelligences artificielles. Les créateurs des Intelligences, après des siècles, sont perçus de manière mystique et légendaire. D’ailleurs, Othon se transforme en colosse antique pour s’adresser à ses hommes-chiens, qui le considèrent comme un Dieu. Les nefs stellaires adoptent les traits et émotions des humains, Plautine ayant différents aspects de sa personnalité matérialisés en plusieurs femmes. Ces IA sont bloquées par le Carcan. Ledit Carcan qui n’a plus de raison d’être dans un univers où l’Homme n’existe plus. De quoi rendre ces Intelligences un peu neurasthéniques…
L’auteur, agrégé de philosophie, aime jouer avec les Idées. Par exemple, Platon, Pythagore, Anaximandre, Leibniz sont au programme. Je vous conseille donc de réviser vos bases. Trêve de plaisanterie, il n’est point nécessaire d’avoir des connaissances approfondies en philosophie pour lire ce roman. Et c’est là que Latium-I est réussi. Plusieurs lectures sont possibles. Romain Lucazeau a un style fluide, une écriture riche. On peut dire qu’il a son style. L’amateur de philo se réjouira des références qui parsèment le roman. De même, le lecteur de science-fiction y prendra beaucoup de plaisir. Notamment lors d’une scène de bataille épique et mémorable. J’y ai d’ailleurs retrouvé le « sense of wonder » si cher à la science-fiction des étoiles. Quant à l’amateur d’Histoire, il s’amusera à chercher le point de divergence, quelques références historiques, notamment une petite pique de l’auteur sur une certaine date.
Latium se joue également comme une tragédie grecque. Le destin épique des acteurs est immuable. Ces êtres computationnels, névrosés, complexés, empreints d’une certaine fatalité, tentent de survivre dans un monde qui n’a plus de sens, entretenant le chimérique espoir du retour de l’Homme. Destin tragique, inéluctable, tout se met en place pour l’acte II. Le premier acte est donc bien abouti, maîtrisé, profond. Une mise en abîme vertigineuse.
Ps : pour des raisons extra-planétaires, l’acte II arrive début novembre sur notre bonne vieille planète mère !
Ps² : n’oublions point la splendide couverture de Latium réalisée par le talentueux Manchu !
Ps3 : Grand merci à « Lunes d’encre » et à Gilles Dumay !