Station orbitale Jean-Claude Dunyach !

Station orbitale Jean-Claude Dunyach afficheLe 26 novembre dernier à Sèvres était donnée l’occasion annuelle pour tous les passionnés d’imaginaire de retrouver une bonne partie de ses auteurs préférés. Parmi les nombreux écrivains ce jour-là se trouvait un habitué des lieux, l’incontournable Jean-Claude Dunyach, figure majeure de la science-fiction et du fantastique francophones. Est-il encore nécessaire de le présenter aujourd’hui ? Probablement que non. Toujours est-il que c’est avec beaucoup de générosité et de chaleur humaine qu’il a bien voulu se prêter au petit jeu tant redoublé de l’interview. Une interview placée sous le signe de L’Art et d’un grand absent que nous continuons de regretter à ce jour, Ayerdhal.

 

 

Le Mont des rêves : Au risque de faire cliché, commençons par le commencement : D’où t’es venu le goût de la SF (celle lue et vue, puis ensuite, celle écrite par toi-même) ?

 

Jean-Claude Dunyach :  Le goût de la lecture m’est venu extrêmement tôt (j’ai su lire à 4 ans et demi, grâce à une maternelle un peu particulière), mais la SF est arrivée assez tard, faute de livres disponibles. Il a fallu attendre le lycée pour que je tombe sur quelques Asimov, Heinlein, etc., et que je commence à en chercher d’autres.

Mais il y a toute une littérature qui te prépare à la SF et qui t’aide à basculer dans l’imaginaire… La littérature Moyenâgeuse, par exemple. Ou des auteurs comme Rabelais, avec sa démesure jubilatoire. Le Roland Furieux, de l’Arioste. Et surtout, les grands récits de voyage (l’expédition de Burton et Speck, les Alexandra David-Neel, la croisière Jaune, le livre des Merveilles de Marco Polo…). Mes parents en avaient une grosse collection – il y avait des milliers de livres chez moi, c’était génial !

On m’a aussi offert des tas de Jules Verne pendant mon enfance. Je les ai encore.

Rajoute énormément de contes et de nouvelles, d’Andersen à Poe et aux Mille et une Nuits, sans oublier le Décaméron ou Chaucer, et tu as toutes les influences littéraires qui m’ont conduit à la SF. Mais la vraie SF, je l’ai connue en terminale, et durant mes années de faculté. Ça n’a jamais été une lecture majoritaire, mais c’est devenu ma littérature de cœur. Celle qui m’a donné envie d’écrire (les deux auteurs déclencheur ont été Ballard et Delany, plus sans doute Bradbury).

Mais note bien que, quand j’ai commencé à écrire, je n’ai pas explicitement décidé de faire de la SF. C’est juste que mes histoires ont dérapé au bout de quelques lignes et ont basculé dans le bizarre, de leur propre volonté. Les frontières entre les genres ont toujours été des notions assez floues pour moi.

 

J’ai cru comprendre que tu travaillais chez Airbus depuis déjà 1982. Penses-tu du coup que l’aviation joue également d’une certaine manière un rôle dans tes œuvres (du moins une certaine influence — oui j’ai bien conscience que cette question peut être liée à la première) ?

 

Jean-Claude Dunyach : Pas l’aviation particulièrement, mais la science en général – les processus mentaux de la recherche scientifique. J’ai toujours été fasciné par les trucs qui volent (mes parents m’ont amené au premier vol du Concorde, à Blagnac, et nous ont fait veiller pour voir les premiers pas d’Armstrong sur la lune). S’il y a une influence, c’est aussi parce que dans mon métier je suis confronté à de nombreux documents, sessions de travail, workshops, de prospective scientifique, qui alimentent mon imaginaire. Et je suis aussi expert auprès de la Commission Européenne, donc je baigne littéralement dans la prospective. C’est quelque chose que je partageais avec Ayerdhal : quand on écrivait Étoiles Mourantes, on s’envoyait de longues lettres détaillant le substrat scientifique de tel ou tel aspect du livre. Il avait la même curiosité que moi.

Mais je trouve aussi mon inspiration dans les musées, les collections privées. L’art est une influence majeure chez moi. Le mélange des deux, art et science, est particulièrement fécond. C’est pour ça que certaines démarches d’art conceptuel m’intéressent. J’ai écrit une de mes dernières nouvelles (Les ailes que j’emporte, dans le recueil Le clin d’œil du héron) à partir d’une œuvre découverte à la Modern Tate de Londres.

 

En 1987 sort Le jeu des sabliers, ton premier roman, mais tu avais déjà auparavant publié quelques nouvelles. Dans les deux cas, comment prends-tu le travail d’écriture ? D’une certaine manière, est-ce plus simple de se mettre à un roman ou à une nouvelle ?

 

Jean-Claude Dunyach : En fait, j’ai écrit une grosse vingtaine de nouvelles avant de me mettre au roman – et encore je n’ai attaqué Le jeu de Sabliers que parce que j’ai eu l’idée complète d’un coup, avec tous les détails, les personnages, les scènes majeures. C’est comme si on m’avait livré le roman en kit. Du coup, je me suis senti suffisamment rassuré pour me lancer.

Je ne sais pas si c’est plus facile d’écrire l’un ou l’autre, pour être franc. L’approche n’est pas la même. Chaque nouvelle me demande une réflexion préliminaire sur la géométrie de l’histoire, ses entrelacs, ses creux et ses bosses. Je prends des tas de notes, je travaille tout ce qui est sensorialité, je réfléchis à la façon dont ça doit sonner – comme un morceau de musique qui doit attirer l’oreille en 8 mesures. Les romans sont plutôt basés sur des personnages forts (le genre à m’empêcher de dormir). Et le plan est beaucoup plus orienté vers les péripéties, autour des lignes narratives et sur la méta-histoire (ce qui se passe pendant ce temps, en dehors du roman lui-même). Le truc (merci à Ayerdhal et Richard Canal qui m’ont montré la voie) c’est d’écrire un petit bout de l’histoire globale que l’on rend suffisamment crucial pour que l’univers retienne son souffle en attendant la fin.

Dans le cas des nouvelles, il y a une écriture très ramassée, en très peu de temps (une semaine maximum), comme un sprint ; dans l’autre, il y a un marathon de plus d’un an, des retours en arrière, un travail sur l’intensité de chaque scène, sur les rythmes…

Ce n’est pas aussi tranché, bien sûr. Les techniques des nouvelles servent au roman, et inversement. Pour les novellas, la frontière est brouillée, c’est d’ailleurs passionnant à écrire pour cette raison.

Aujourd’hui, je n’ai plus d’appréhension à l’idée de me lancer dans un projet d’un million de signes. Mais quand j’ai commencé, il a fallu que je m’habitue à l’idée de passer des mois à dialoguer dans ma tête avec les mêmes personnages.

 

Ayerdhal, justement, venons-y. Comment l’as-tu rencontré et comment vous êtes-vous décidés à faire une suite à Étoiles Mortes ?

 

Jean-Claude Dunyach : Je l’ai rencontré en 1992, lors d’un cocktail au Fleuve Noir donné en notre honneur (il avait gagné le Grand Prix de l’Imaginaire pour Demain une Oasis et moi le prix Rosny aîné pour Étoiles Mortes). On s’est cherché dans les bureaux du Fleuve Noir, on a commencé à discuter et le coup de foudre littéraire a été quasi-immédiat. On s’est aussi découvert une passion commune pour la cuisine et les discussions nocturnes s’achevant après l’aube, avec armagnac en option. Par contre, sur le problème délicat du choix du vin accompagnant les débats, l’opposition est restée vive entre Bourgogne et Bordeaux. Mais les Côtes du Rhône sont parvenus à nous réconcilier sur cette épineuse question.

Bref, toutes les conditions étaient réunies pour faire des trucs ensemble. On a commencé par se lire et se corriger mutuellement, puis on a parlé d’écrire ensemble une novella dans l’univers des AnimauxVilles… J’ai envoyé un début d’idée, Yal a rebondi dessus, on a enrichi, retaillé le projet qui est passé au stade de roman puis de gros machin ingérable. Et on s’y est mis, grâce aussi au support de Marion Mazauric qui était à l’époque chez J’ai lu. Il a fallu quatre ans, un certain nombre de bouteilles, pas mal de confits et de foie gras, sans oublier d’inoubliables pot-au-feu et au moins deux cassoulets, des tas de lettres, de rencontres et de moments forts, plus deux engueulades inoubliables.

Ayerdhal, plus de vingt ans après, reste un des plus merveilleux cadeaux que la littérature m’ai fait. C’était quelqu’un de formidable, un véritable être humain avec tout ce que ça peut comporter de démesure et de créativité. Il est toujours perché sur mon épaule quand j’écris.

 

Je crois que lors d’une visite au Salon des Rencontres de l’Imaginaire à Sèvres, tu avais brièvement évoqué un troisième et dernier tome à l’aventure des Animaux-villes. Je suppose que tu as déjà quelques idées…

 

Jean-Claude Dunyach : En fait, avec Ayerdhal, on avait même parlé de deux livres supplémentaires : Étoiles Libres, qui se passe entre Étoiles Mortes et Mourantes et qui décrit la séparation de l’humanité en rameaux, et la suite d’Étoiles Mourantes, pour laquelle Yal avait des idées qu’il n’a pas eu le temps de développer, malheureusement.

Étoiles Libres reste un de mes projets pour les années à venir… J’ai l’histoire en gros, j’ai écrit le premier chapitre, la problématique est posée. Ce qui me navre, c’est qu’en l’absence d’Ayerdhal, le résultat risque fort de ne pas être aussi abouti qu’on l’avait souhaité. Je ferai de mon mieux.

Pour l’instant j’ai 4 bouquins sur le feu… J’attends la retraite (dans deux ans et des poussières) pour enfin rattraper mon retard.

 

Faisons un petit détour au gré d’un astéroïde …ou de la mélodie d’un piano-bar. J’avais lu Étoiles Mortes il y a un certain temps déjà (c’était la première œuvre que je lisais de toi !) mais je me souviens que l’un des personnages principaux s’appelle Closter. Or, sur ton stand au Salon des Rencontres de l’Imaginaire, l’un des cartons de présentations (décoré d’une manière assez drôle en plus) te désignait comme « Closter ». Mais alors, qui est-il ou bien es-tu vraiment Jean-Claude Dunyach ?

 

Jean-Claude Dunyach : Dans Étoiles Mortes, j’ai voulu mettre en scène l’histoire d’amour que je vivais – et que je vis toujours – avec ma chère et tendre. Je l’ai donc écrit à la première personne et j’ai utilisé des noms pour les personnages qui sont « transparents » pour ceux qui me connaissent.

« Closter » est mon surnom d’étudiant. C’est mon alter ego, mon double… Il a sa propre adresse mail, en plus, ce qui est le début de l’existence dans l’univers numérique.

Au passage, c’est un truc d’écrivain, assez classique : on crée dans sa tête l’écrivain rêvé, celui qu’on a toujours eu envie d’être, et on le laisse écrire à sa place. Closter joue ce rôle pour moi. Je suis un schizophrène qui s’assume !

 

Avec la parution simultanée de ton recueil de nouvelles Le clin d’œil du héron ainsi que l’intégrale des nouvelles d’Ayerdhal, on peut probablement dire que ce dernier te salue (et nous salue) une dernière fois. Curieusement la préface n’est pas de toi mais de Pierre Bordage. Un choix volontaire ou le manque de temps au moment de la mise en forme finale du recueil ?

 

Jean-Claude Dunyach : Je n’ai absolument pas été impliqué dans la réalisation de ce recueil, à aucun niveau. La préface que j’avais rédigée pour le recueil d’Ayerdhal chez ISF, ainsi que sa postface, n’ont pas été incluses. C’est le choix de l’éditeur…

J’ai eu par contre la joie de bosser avec Ayerdhal sur ses nouvelles et sur les miennes, pendant vingt ans. Et ça, c’est un de mes grands bonheurs littéraires.

 

Une question un peu clichée mais toujours aussi tentante : Quels conseils souhaiterais-tu donner aux écrivains en herbe, jeunes et moins jeunes, qui voudraient se lancer dans la création de mondes imaginaires à l’écrit ?

 

Jean-Claude Dunyach : Je ne suis pas très doué pour donner des conseils, surtout de ce genre. Je dirai juste « faites-vous plaisir ! ». Le plaisir du lecteur commence par le vôtre.

Après, il existe plein de bouquins traitant de l’écriture (je recommande celui d’Elisabeth Vonarburg, Comment écrire des histoires, chez Alire), de blogs, dont celui de Lionel Davoust qui abrite entre autres toutes les présentations utilisées lors des ateliers d’écriture que nous donnons ensemble à Épinal, et qui est une vraie mine d’informations… Mais à mon sens, ce genre de choses sert surtout à retravailler son texte une fois écrit. Au commencement, il faut avoir l’envie de sauter dans la piscine, même si l’eau paraît froide et profonde.

 

Je te laisse le mot de la fin… Que vas-tu nous livrer en conclusion ?

 

Jean-Claude Dunyach : Lisez ! Oubliez les catégories, sortez de votre zone de confort littéraire, soyez curieux de tout. Chaque pays, chaque époque, a produit des œuvres bouleversantes. J’ai fait mes plus beaux voyages un livre à la main. Ils ont été mes professeurs, mes consolateurs, mes amis. Et ils le sont encore, plus de cinquante ans après.

Crédit photo portrait : Jean-Pierre Dunyach

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