L’arrivée sur la toile fin mars 2016 d’une bande annonce montrant une adaptation live de Death Note par Netflix a été une nouvelle fois l’occasion d’une polémique (1). Au vu du peu donné, difficile toutefois de juger directement de ce qui n’est pour l’instant qu’un simple objet promotionnel. Cela dit, cette nouvelle adaptation (2) a le mérite d’intriguer et en fin de compte nous donner envie de replonger aux sources de l’œuvre : découvrir ou redécouvrir le manga culte de Tsugumi Ohba (scénario) et Takeshi Obata (dessin).
Light Yagami, lycéen surdoué et consciencieux est ce qu’on pourrait appeler l’élève modèle type. Premier de la classe, doté d’un Q.I exceptionnel, il est le lycéen parfait et on ne lui connaît même aucun défaut. Tellement parfait qu’il y a de quoi s’inquiéter d’une vie si carrée et trop propre. Évidemment le jour où il met la main sur un mystérieux carnet noir, le Death Note, tout va voler en éclats.
Le principe du carnet est simple, mais son application dans le manga ouvre des possibilités presque infinies au scénario. Quiconque inscrit un nom dans le Death Note voit alors la personne mentionnée s’effondrer d’une crise cardiaque, 60 secondes après. Celui qui se sert du carnet en devient donc son nouveau propriétaire. Ce qui n’empêche pas les propriétaires légitimes, les dieux de la mort (shinigami), d’être du coup vus par celui qui utilise le carnet (et pouvoir même être touchés). Light utilisant le carnet de Ryuk, ce dernier l’accompagnera tout le long et ne sera vu que par le lycéen, mais ne prendra jamais parti.
Comme notre bonhomme a un gros problème d’ego et que son cerveau commençait déjà difficilement à passer les portes, il se dit que ce serait formidable du coup d’instaurer un nouvel ordre au monde où seuls les méchants (tueurs en séries, criminels divers, pédophiles, on en passe et des meilleures (ou pires plutôt)) seraient tués par une divinité à même de rendre la justice sans aucune entrave humaine ou morale : Kira (en fait la prononciation japonaise de killer).
Eh oui, voilà ce que c’est que d’avoir un papa policier et d’avoir comme lui un sens très aigu de la justice. Si en plus vous êtes fans de Dirty Harry et des méthodes expéditives on en sort plus…
Il n’en faut pas plus pour que très vite Light se heurte à un antagoniste de choix en la personne de « L », super détective représentant la justice des hommes, et tentant de coffrer ce super-méchant qui se permet de punir plus ou moins à sa guise. Parce que sous prétexte de faire régner la justice, on peut effectivement se poser la question de savoir si moralement Kira ne se trompe pas parfois et ne tue pas un innocent par erreur. Et surtout, a t-il bien le droit d’agir comme ça en toute impunité ?
Pourtant la série n’approfondira jamais vraiment les questions morales posées par cet acte problématique de tuer impunément. Soyons clair et ce sera le défaut principal que l’on va évacuer d’emblée : On ne lit pas Death Note pour y trouver un quelconque précis de philosophie qui nous éclairerait sur le sens de nos vies.
En revanche si l’on cherche une œuvre mixant génialement thriller, policier, fantastique et horreur avec un scénario quasiment en béton, oui là, c’est parfait. On pourra toutefois chipoter sur le fait que l’histoire parfois se complexifie un peu trop toute seule (« ah ah je sais ce que tu penses que je sais mais je penses que tu ne sais pas ce que je pense que…. » On a limite parfois l’impression d’avoir la retranscription d’un sketch des Inconnus ou des Nuls). C’est un peu gênant. Comme l’impression de voir son meilleur ami commencer à parler tout seul dans son coin pendant 30 minutes alors qu’on est en public et que tous les regards se tournent soudain vers lui.
Parce qu’au fond, Death Note c’est ça et tout l’aspect cérébral qu’on a pu lui reprocher vient de là : L’affrontement de deux super-cerveaux. On pourrait même aller plus loin et voir là l’affrontement d’un super-héros contre un super-méchant. L’un aurait un super pouvoir de déduction le rendant aussi incroyable que Sherlock Holmes (3), l’autre le don de tuer à distance selon son humeur ou sa morale. 2 machines performantes. Des autistes même !
Et c’est là la faiblesse et la force de Death Note. Parce que d’un côté, impossible de s’attacher à Light ou L. Ils sont à leur manière trop calculateurs et manquent cruellement d’humanité, et même une poignée de porte s’avère plus intéressante qu’eux, c’est dire… Ils n’évolueront pas vraiment d’ailleurs et partagent aussi le point commun d’être aussi manipulateurs l’un que l’autre pour arriver à leur fins. Et ce n’est pas parce que L travaille avec Interpol qu’il n’aura aucun scrupule à tendre un piège à Kira, et placer dès le départ un condamné à mort à sa place lors d’un passage à la télé pour que ce dernier le tue en direct et donc tombe dans le panneau. Comme je l’ai évoqué plus haut, aspect moral, zéro (4).
Mais en même temps donc c’est la force du manga que d’aller directement dans cet affrontement incessant qui va de plus en plus loin dans les coups fourrés en tous genres. Et en cela c’est probablement un choix scénaristique assumé vu qu’on ne prend donc aucunement parti pour l’un et l’autre camp. On a tout aussi envie que L gagne, que Light arrive à ses fins et se débarrasse de lui. Cela en devient donc jouissivement insupportable puisque comme dans n’importe quelle série, on en ressent un état de manque, on en veut toujours plus. Et c’est ce que va faire Tsugumi Ohba en complexifiant de plus en plus l’histoire au point parfois d’y perdre son lecteur. On aura plus un Kira, mais plusieurs. Tout comme plusieurs super-enquêteurs par la suite, plusieurs dieux de la mort, et plusieurs façons de faire mourir quelqu’un en inscrivant son nom dans le carnet…
Heureusement comme écrit plus haut, le manga va à l’essentiel. Death Note se lit non seulement facilement mais a l’avantage de ne faire qu’une dizaine de tomes (13 en format poche, 6 en grand format, la Black edition). Il faut aussi souligner le dessin très stylisé d’Obata qui s’amuse à faire ressortir avec une belle aisance une ambiance noire et poisseuse avec une économie de moyens (5), des cadrages soignés et une mise en page constamment dynamique.
Conclusion
En somme Death Note est non seulement addictif et passionnant. A l’heure où tout va très vite, il n’a pas pris une ride et constitue encore aujourd’hui un manga de choix dont le culte n’est pas usurpé et qu’on peut se relire (redécouvrir) avec un grand plaisir.
======
-
Liée au « Whitewashing » Hollywoodien. Où la possibilité de remplacer un casting ethnique ou représentant une certaine minorité uniquement que par des acteurs blancs de peau. Citons comme exemple récent, l’adaptation live de Ghost in the shell, chroniqué d’ailleurs ici au Mont des Rêves.
-
Outre le manga, il y eut 2 romans et 3 films live (voire une comédie musicale !) de Death Note.
-
Bon, cela dit, « L » a moins d’élégance qu’un Benedict Cumberbatch. Oui, on chipote.
-
C’est peut-être un détail mais sociologiquement il a son importance : Le Japon applique encore aujourd’hui la peine de mort (par pendaison). Il ne serait donc pas si étonnant que le scénariste manque de recul là dessus.
-
Quitte à se croire dans un véritable Film Noir (merci les grands aplats à l’encre de chine), le fantastique en plus.
J’ai d’abord vu la série animée qui est excellente, donc je n’ai jamais lu le manga… En série TV ? why not, le format s’y prête… (très déçu par les films 1 et 2 par contre…)
La série animée est vraiment pas mal, mais ça s’essouffle vite quand même. Je n’ai pas vu les films, mais a mon avis les adaptations live, à quelques exceptions près, ne valent pas le coup. On verra avec la version Netflix, mais honnêtement j’en attend rien.